nautilus

Patrice Lumumba, le leader indépendantiste du Congo belge




Patrice Lumumba est l'une des grandes figures de la lutte pour les indépendances africaines. Sa fin tragique illustre l'extrême violence parfois liée aux décolonisations. Fervent partisan de l'indépendance du Congo belge, plusieurs fois emprisonné, fondateur du Mouvement national congolais qui, en 1960, obtient un large score aux premières élections, cet ancien employé des postes devient le premier chef de gouvernement du Congo indépendant, qu'il veut orienter vers le socialisme. Il est cependant rapidement victime des troubles qui affectent son pays après le départ précipité des Belges, et ce malgré ses demandes réitérées de soutiens internationaux. Il est assassiné en 1961, dans des circonstances demeurées obscures. Lumumba demeure, tant pour les Congolais que pour le Tiers Monde, un symbole de la lutte contre la domination coloniale.

(Source : Encyclopædia Universalis)

Discours de Patrice Lumumba

Premier ministre et ministre de la Défense nationale de la République du Congo, à la cérémonie de l'Indépendance à Léopoldville le 30 juin 1960


Le discours de Lumumba n'était pas prévu. Mais Patrice Lumumba se lève et va à la tribune :

 

« A vous tous, mes amis qui avez lutté sans relâche à nos côtés, je vous demande de faire de ce 30 juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffaçablement gravée dans vos cours, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants, pour que ceux-ci à leur tour fassent connaître à leurs fils et à leurs petits-fils l'histoire glorieuse de notre lutte pour la liberté.

 

Car cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd'hui dans l'entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d'égal à égal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c'est par la lutte qu'elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n'avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang . C'est une lutte qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu'au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l'humiliant esclavage, qui nous était imposé par la force .

 

Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire.

 

Nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d'élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres. Qui oubliera qu'à un noir on disait « Tu », non certes comme à un ami, mais parce que le « Vous » honorable était réservé aux seuls blancs ?

 

Nous avons connu nos terres spoliées au nom de textes prétendument légaux, qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort, nous avons connu que la loi n'était jamais la même, selon qu'il s'agissait d'un blanc ou d'un noir, accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres. Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou, croyances religieuses : exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort même. Nous avons connu qu'il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les blancs et des paillotes croulantes pour les noirs : qu'un noir n'était admis ni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les magasins dits européens, qu'un noir voyageait à même la coque des péniches au pied du blanc dans sa cabine de luxe.

 

Qui oubliera, enfin, les fusillades où périrent tant de nos frères, ou les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient pas se soumettre à un régime d'injustice ?

 

Tout cela, mes frères, nous en avons profondément souffert, mais tout cela aussi, nous, que le vote de vos représentants élus a agréé pour diriger notre cher pays, nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre coeur de l'oppression colonialiste, nous vous le disons, tout cela est désormais fini.

 

La République du Congo a été proclamée et notre cher pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants (...) ».

 

Une émission d'Alexandre Adler consacrée à Patrice Lumumba pour comprendre les enjeux de la décolonisation du Congo belge :



Patrice Lumumba


Patrice Lumumba : la Belgique doit reconnaître

ses responsabilités historiques

Le Soir (Quotidien belge), édition du 28 janvier 2009


Le 17 janvier 1961, Patrice Lumumba était assassiné. Sa mémoire doit rester vivante, son combat reste une source d'inspiration dans les luttes émancipatrices de l'Afrique.


Dans les années 60, des mouvements indépendantistes secouent l'Afrique. Le Congo connaît alors la montée en puissance d'un tel mouvement mené par Patrice Lumumba. La détermination des peuples à se libérer du joug colonial et le spectre des luttes indépendantistes poussent la Belgique, sous le règne de Baudouin, à concéder l'indépendance politique en 1960. Mais le gouvernement belge cherche à garder la mainmise économique afin d'y préserver ses intérêts violemment acquis par Léopold II, propriétaire du Congo de 1885 à 1908 avant que ce pays ne revienne à l'État belge.


En mai 1960, Lumumba remporte les élections avec le Mouvement National Congolais. Le 23 juin, il devient premier ministre, soit chef du gouvernement. En septembre, le Président (sans pouvoir dans un régime parlementaire) Joseph Kasa Vubu révoque Lumumba et les ministres nationalistes. Le Parlement, acquis à la cause de Lumumba, révoque Kasa Vubu. Joseph Désiré Mobutu, avec l'aide de l'ambassade des USA, des officiers belges et onusiens, fait arrêter Lumumba et l'assigne à résidence. Fin novembre, Lumumba s'échappe de la capitale pour gagner Stanleyville. Il est arrêté et transféré au camp militaire de Thysville. Le 17 janvier 1961, Lumumba et ses camarades sont conduits à Elisabethville et livrés aux autorités locales. Ils sont humiliés et fusillés le soir même. Dans les jours qui suivent, plusieurs partisans de Lumumba sont exécutés.


La Belgique a une part de responsabilité dans ce sanglant épisode de l'Histoire. « La violation de la démocratie congolaise prend forme avec la mise en prison de Lumumba (…) Ce sont bien des conseils belges, des directives belges et finalement des mains belges qui ont tué Lumumba » (2).


Cette responsabilité n'est pas retenue lors de la Commission d'enquête parlementaire belge mise en place 40 ans après les faits. Comme le rappelait le ministre des Affaires étrangères, Louis Michel, lors du débat sur les recommandations de la commission : « La commission souligne également l'implication d'instances Gouvernementales belges lors du transfert de Lumumba au Katanga, sans que l'idée de l'exécuter ou de le faire exécuter n'ait dans ce cadre été préméditée (…) Le gouvernement déplore le fait que le traitement de cette question par le gouvernement de l'époque ait relevé un manque de considération pour l'intégrité physique de Lumumba » (3).


Cependant, il existe des documents qui ne laissent pas de doutes sur les responsabilités belges dans cet assassinat. Le comte Harold d'Aspremont Lynden, ministre belge des Affaires africaines et proche de Baudouin, écrivait le 6 octobre 1960 que « l'objectif principal à poursuivre dans l'intérêt du Congo, du Katanga et de la Belgique est évidemment l'élimination définitive de Lumumba ». Pour la commission d'enquête, il faut entendre l'élimination politique et non physique de Lumumba. Pour Ludo De Witte, sociologue et historien, ce sont bien les Belges, avec l'aide de la CIA, qui ont dirigé toute l'opération du transfert de Lumumba au Katanga, jusqu'à sa disparition et celle de son corps.


Au-delà de la question des responsabilités, son assassinat pose la question de l'ingérence politique des pays occidentaux en Afrique et de la poursuite du projet colonial quant à la mainmise sur les ressources naturelles. Il prône une indépendance claire et rappelle que ce sont les luttes qui ont conduit à la liberté. « Nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier que c'est par la lutte [que l'indépendance] a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n'avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang. (…) Nous en sommes fiers jusqu'au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l'humiliant esclavage, qui nous était imposé par la force » (4).


En assassinant le leader panafricain, « on ne s'est pas contenté d'éliminer physiquement Lumumba : on a voulu empêcher que sa vie et son travail deviennent une source d'inspiration pour les peuples africains ; on a voulu effacer à tout prix son projet nationaliste visant à mettre en place un Etat-nation unifié et une économie servant les besoins du peuple. Pour que jamais ne renaisse un nouveau Lumumba, il fallait à tout prix que ses idées et sa lutte contre la domination coloniale et néocoloniale soient effacées de la mémoire collective » (5)


Pour le gouvernement belge, le danger du projet indépendantiste de Lumumba résidait dans l'affirmation de la souveraineté politique et économique et donc la mise en péril des intérêts économiques belges. Son assassinat est « un exemple ahurissant de ce dont les classes dominantes occidentales sont capables dès qu'elles se sentent touchées dans leurs intérêts fondamentaux » (6).


Le Collectif Mémoires Coloniales réclame que les archives concernant ce dossier soient largement accessibles. Le Collectif s'indigne de l'attitude tergiversante face à la question des responsabilités belges dans cet assassinat. Il est temps que la Belgique reconnaisse clairement ses responsabilités historiques vis-à-vis du Congo. Le Collectif réclame que la Belgique présente ses excuses au peuple congolais, et que soit érigé un monument public en mémoire de Lumumba.


(1) Le Collectif Mémoires Coloniales est composé d'individus et d'associations, dont le CADTM, Congo Forum, Oasisndjili… Contact : pauline@cadtm.org.

(2) Ludo De Witte, L'assassinat de Lumumba , Karthala, 2000.

(3) http://www.diplomatie.be/nl/press/homedetails.asp ? TEXTID=68

(4) Extrait du discours de Lumumba, 30 juin 1960.

(5) Ludo De Witte, ibid.

(6) Ludo De Witte, ibid.


La chanson L'Arbre Lumumba de Ze Jam Afane et Vincent Courtois en hommage au chef politique congolais assassiné :

 



Pour aller plus loin :


Splendeurs et misères congolaises (1) L' Afrique enchantée, France Inter, diffusion le 23 novembre 2008

Splendeurs et misères congolaises (2), L' Afrique enchantée, France Inter, diffusion le 30 novembre 2008



30/01/2009

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 8 autres membres