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Le rayonnement et les limites du "modèle stalinien"

Tout passe est le testament littéraire et politique de Vassili Grossman, roman achevé après la confiscation de Vie et Destin par le KGB en 1960. V. Grossman livre dans Tout passe tout ce qu'il a compris sur la société soviétique, sur la nature et les sources du totalitarisme stalinien. Malgré sa très grande perspicacité sur l'aspect inhumain de l'Etat créé par Lénine et incarné par Staline, Grossman, au soir de sa vie, veut rester optimiste en faisant dire à Ivan Grigoriévitch, personnage principal du roman : "... Quelque illimité que soit le pouvoir d'Etat et quelque forts que soient les empires, tout cela n'est que fumée, que brouillard et, comme tel, disparaîtra. Il n'y a qu'une force qui persiste, qui se développe, qui vive, et cette force, elle réside dans la liberté. Vivre, cela signifie être un homme libre ... Un jour, liberté et Russie ne feront qu'un !"
En espérant ce jour, lisez et méditez cet extrait de Tout passe où Grossman décrit la mort de Staline pour mieux comprendre la nature du totalitarisme stalinien, son emprise et sa violence exercées sur le peuple soviétique :


Et soudain, le 5 mars 1953, Staline mourut. La mort de Staline fit littéralement irruption dans le système gigantesque de l'enthousiasme mécanisé, de la colère populaire et de l'amour populaire décrétés par le comité de district du Parti. Staline mourut sans qu'aucun plan l'eût prévu, sans instruction des organes directeurs. Staline mourut sans ordre personnel du camarade Staline. Cette liberté, cette fantaisie capricieuse de la mort contenait une sorte de dynamite qui contredisait l'essence la plus secrète de l'Etat. Le trouble s'empara des esprits et des cœurs.
Staline est mort ! Les uns eurent le sentiment d'un malheur. Dans certaines écoles, les maîtres forcèrent leurs élèves à se mettre à genoux, puis, s'agenouillant à leur tour et fondant en larmes, ils leur donnèrent lecture du communiqué officiel qui annonçait la mort du guide. Aux réunions qui se tinrent dans les établissements publics et dans les usines pour marquer le deuil, un grand nombre de gens furent pris d'une sorte d'hystérie. Des femmes criaient comme des démentes, éclataient en sanglots, certaines s'évanouissaient. Il était mort le grand dieu, idole du XXe siècle, et les femmes de pleurer...
D'autres eurent le sentiment d'un bonheur. La campagne, qui dépérissait sous la poigne de fer de Staline, poussa un soupir de soulagement.
Les millions d'hommes qui peuplaient les camps furent en liesse.
... Des colonnes de détenus se rendaient à leur travail dans les ténèbres du petit matin. Le rugissement de l'océan couvrait l'aboiement des chiens policiers et soudain, comme si se levait l'aurore boréale, une clameur jaillit dans les rangs : « Staline est mort ! » Les dizaines de milliers d'hommes sous escortes se transmettaient la nouvelle à voix basse : « II a crevé... crevé ! » et ce chuchotement de milliers et de milliers d'hommes grondait comme le vent. La nuit noire recouvrait la terre polaire mais la glace de l'océan était rompue et l'océan Glacial rugissait.

Vassili Grossman, Tout passe, Julliard-L'Age d'Homme, 1984.

 

Et si les images vous semblent plus parlantes pour comprendre le stalinisme et son rayonnement en Occident, regardez ce documentaire produit par M6, instructif malgré son ton haletant quelque peu agaçant :






22/11/2008

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