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La guerre d'Indochine

Signature de la convention de l'indépendance de l'Indochine,
le 24 mars 1946



 

Les Actualités françaises, le 25.04.1946

Alors qu'en Europe la Seconde Guerre mondiale a pris fin, Ho Chi Minh proclame, le 2 septembre 1945, l'indépendance du Vietnam et la fondation de la République Démocratique du Vietnam (RDV).

Le général de Gaulle s'oppose à cette indépendance et envisage la participation du Vietnam à l'Union française, nouveau nom de l'empire colonial français. Il délègue en Indochine deux de ses proches : l'amiral Thierry d'Argenlieu comme haut commissaire, et le général Philippe Leclerc comme commandant du Corps expéditionnaire français d'Extrême Orient (CEFEO).

Pendant l'hiver 1945–1946, tandis que la France envoie des troupes sur le terrain, le Vietminh mobilise et organise une armée. Les négociations destinées à éviter un conflit sont menées par Jean Sainteny, commissaire de la République au Tonkin, et débouchent sur un accord signé le 6 mars 1946 avec Ho Chi Minh : la RDV, limitée au Tonkin, est reconnue comme un Etat libre au sein de l'Union française (Union française qui n'est encore qu'un projet que le référendum constitutionnel prévu en mai 1946 doit ratifier) avec un gouvernement, un parlement, une armée et des finances propres ; la France s'engage à limiter sa présence militaire au Tonkin.

Ce point mécontente l'amiral d'Argenlieu, qui, comme le gouvernement français, ne veut pas abandonner tout le Vietnam à Ho Chi Minh. Tout en signant l'accord du 6 mars sur le navire amiral Emile Bertin, les représentants français se préparent à sauvegarder politiquement et militairement la Cochinchine.



Les débuts de la guerre d'Indochine
(décembre 1946)



Hanoï en décembre 1946
Les Actualités françaises, le 16.01.1947



A l'automne 1946, les relations entre la France et le Vietminh se détériorent, et chaque camp renforce ses positions militaires. Les opérations prennent de l'ampleur : la marine française bombarde le port de Haïphong le 23 novembre, causant la mort de centaines de civils. Ho Chi Minh et le général Giap se préparent à une action contre la France.

C'est dans ce contexte qu'à Paris, Léon Blum devient chef du gouvernement, et propose à Ho Chi Minh de reprendre les négociations. Ce dernier accepte, mais sa lettre, transmise de façon non urgente par les autorités militaires françaises, arrive à Paris le 20 décembre. Or, à Hanoï, la situation se dégrade : le 19 décembre, à 20 heures, l'électricité est coupée par le Vietminh, dont les hommes forcent les maisons et tuent des civils. Ce « coup de force de Hanoï » est un échec, mais il radicalise encore les positions des militaires français et vietnamiens. Ho Chi Minh lance le 21 décembre un appel à la lutte à outrance. La guerre d'Indochine a commencé.

Le ministre Marius Moutet est alors chargé d'une mission de conciliation par Léon Blum. A sa descente d'avion, il est pris en charge par l'état-major, qui veut lui faire partager son point de vue : on ne peut pas négocier avec le Vietminh, il n'est pas digne de confiance. Alors que Ho Chi Minh envoie un message à Marius Moutet pour lui proposer une rencontre, la lettre, interceptée par les services de l'amiral d'Argenlieu, n'arrive pas à son destinataire, qui visite Hanoï en ruine. Marius Moutet tire pour conclusion de sa visite que le Vietminh n'est pas un interlocuteur valable, et la thèse de Thierry d'Argenlieu l'emporte : « avant toute négociation, il faut une décision militaire ».

Ce reportage est emblématique de l'analyse de certains militaires français, à un moment où le pouvoir politique envisage de négocier avec les nationalistes vietnamiens. Le document s'ouvre par une vue aérienne de Hanoï et de sa banlieue, où brûlent des maisons : c'est la guerre. A sa descente d'avion, le ministre Marius Moutet rencontre d'abord les autorités militaires.

Deux types d'images sont utilisées : des images tournées de la voiture même qu'empruntent Marius Moutet et le général Morlière pour inspecter la ville, et des images de combats de rues tournées à d'autres moments. Des cadavres de soldats français sont filmés en plan rapproché, ainsi qu'une colonne de jeunes adolescents vietnamiens faits prisonniers « les armes à la main » selon le commentaire. A ces scènes de guerre succède la visite de la résidence de Ho Chi Minh, entourée de tranchées qui abritent des soldats : la découverte, en apparence fortuite, d'un casque japonais au fond d'une tranchée suggère que le Vietminh n'est que l'incarnation d'un ennemi étrange qui a perdu la guerre mais se refuse à l'admettre. La lutte du Vietminh ne présente pas alors de caractère national, c'est une guerre étrangère, non légitime.

Le reportage renforce cette analyse en enchaînant sur la visite de l'Institut Pasteur d'Hanoï, qui illustre l'argument traditionnel en faveur de la colonisation : la France apporte le progrès – ici la santé – et la civilisation à un peuple qui ne peut que souscrire à cet effort humanitaire. La colonisation et l'action de la France sont justes, les refuser est incompréhensible.



Le conflit en Indochine après la défaite de Cao Bang
(3–8 octobre 1950)





Avec le déclenchement de la guerre de Corée, le 25 juin 1950, la guerre en Indochine change de nature politique : la protection des colonies françaises cède désormais le pas à la lutte contre le communisme. Le conflit s'internationalise : la République populaire de Chine, proclamée le 1er octobre 1949, reconnaît la République populaire du Vietnam (suivie par l'URSS le 30 janvier 1950) et aide le Vietminh. Les Etats-Unis annoncent, le 8 mai 1950, la fourniture gratuite de matériel militaire à la France.

Sur le terrain, la France connaît de sérieux revers : elle essuie notamment une défaite lors de la bataille de Cao Bang (3–8 octobre 1950) face à l'armée de Ho Chi Minh soutenue par la Chine. Alors que les Français commencent à évacuer les postes situés à proximité de la frontière chinoise, une offensive vietminh sème la panique et les contraint à quitter en catastrophe la zone montagneuse du Tonkin, en laissant près de
7 000 morts et plusieurs tonnes de matériel militaire. C'est la première grande victoire du Vietminh et un tournant de la guerre.




La bataille de Ninh Binh (28 mai-7 juin 1951)




Les Actualités françaises, le 14.06.1951


La « bataille du Day », qui se déroule du 28 mai au 7 juin 1951, englobe les combats de Ninh Binh et constitue un épisode marquant de la guerre d'Indochine. Elle s'inscrit dans une série d'opérations militaires lancées au premier semestre 1951 afin de contrôler les environs de Hanoï.

Le général vietnamien Giap engage des troupes nombreuses pour mener une guerre classique dans le delta du Fleuve Rouge tandis que le général de Lattre de Tassigny, commandant en chef de l'Indochine, fait construire de nombreux blockhaus dans le delta, mobilise des troupes stationnées en Cochinchine, utilise l'aviation et pour la première fois, des bombes au napalm.

Le 28 mai 1951, le général Giap lance l'offensive. Le site rocheux de Ninh Binh (aujourd'hui Cuc Phûong), qui surplombe le fleuve Day, constitue un verrou stratégique. Tenus par un escadron du 1er Chasseur, formé de troupes indochinoises commandées par le lieutenant Bernard de Lattre de Tassigny, fils unique du général, les pitons de Ninh Binh sont pris par les combattants du Vietminh, et Bernard de Lattre de Tassigny est tué au feu.


Le sujet du documentaire est centré sur les combats menés pour reprendre le site et barrer la route de Hanoï à Giap : la reconquête victorieuse de Ninh Binh est opérée par le sous-officier Roger Vandenberghe, appuyé par l'artillerie du Groupement mobile nord-africain (G. M. N. A.) du colonel Edon. Elle permet de stopper l'offensive de Giap, qui, après cette bataille du Day, change de tactique. Il abandonne les batailles classiques pour se tourner vers la guérilla.


Diên Biên Phu à l'heure de l'assaut (mars 1954)


Les Actualités françaises, le 18.03.1954


Dans le contexte du dégel des relations entre les Etats-Unis et l'Union soviétique, suite à la mort de Staline, naît l'idée d'une conférence internationale réglant le problème indochinois. Dans la perspective de cette conférence, prévue en avril 1954, le gouvernement français, s'il est résigné à trouver une solution par la négociation, entend tout au moins aborder celle-ci en position de force. Pour ce faire, il compte sur un succès militaire d'envergure. Or, sur place, la situation militaire ne cesse de se détériorer. L'état-major français imagine alors le piège de Diên Biên Phu. 

A l'initiative
du général Henri Navarre qui a été nommé commandant du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient (CEFEO) au printemps 1953, une fortification est construite dans une vallée, à Diên Biên Phu à 300 km de Hanoï
à la frontière du Laos, dans les montagnes du nord ouest du Tonkin.

Dans le camp retranché de Diên Biên Phu,
15 000 soldats français sont massés pour tenir la position fortement fortifiée, dotée d'une artillerie puissante et d'un aérodrome. L'opération vise d'une part à protéger le Laos d'infiltrations vietminh pour empêcher les troupes du nord, du Tonkin, de créer une liaison avec les troupes du sud, de Cochinchine et d'Annam. Elle doit permettre d'autre part de porter un coup important à l'armée de Giap. Les soldats vietminh seront obligés d'installer leur artillerie sur les pentes de la vallée pour attaquer, l'offrant ainsi à la destruction par les canons français.

Du côté vietminh, l'Armée populaire vietnamienne a besoin d'une victoire militaire à fort retentissement psychologique pour améliorer sa situation politique, et posséder un avantage dans les négociations lors de la Conférence de Genève qui doit ouvrir au printemps. Le général Giap mobilise 100 000 porteurs pour assurer la logistique, prépare des renforts de 55 000 hommes et engage immédiatement 40 000 combattants qui commencent le siège dès novembre 1953. Pendant des semaines, les soldats vietminh se préparent : ils creusent des tranchées, et cachent les canons dans des tunnels : à peine ont-ils tiré qu'ils peuvent se replier à l'abri du souterrain.

Le 13 mars 1954, la bataille est lancée. Dès le 15, deux avant-postes français tombent et la piste aérienne est neutralisée. Le 7 mai, Diên Biên Phu est prise, le jour même où la conférence de Genève aborde l'examen de la question indochinoise.


Ce document est l'un des très rares reportages réalisé et diffusé sur la bataille de Diên Biên Phu, car la piste aérienne fut détruite après une semaine de combat.
Dans ce reportage, l'ennemi est invisible, seuls les soldats français sont visibles, et la situation difficile n'est pas escamotée : les conditions du combat sont pénibles, les blessés nombreux, mais la dernière image est encourageante, puisque sous le soleil levant, les troupes marchent vers l'avenir et la victoire.


La chute de Diên Biên Phu, le 7 mai 1954



Les Actualités françaises, le 13.05.1954

La chute de Diên Biên Phu, le 7 mai 1954 après 57 jours d'une bataille sans merci, intervient quelques jours après l'ouverture de la conférence de Genève à laquelle participent les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l'URSS et la Chine communiste.

Le piège de Diên Biên Phu
s'est retourné contre les Français. L'opinion publique, jusque là plutôt indifférente à la guerre d'Indochine, y devient alors hostile, et le monde politique, qui était réticent à l'idée d'une négociation, y est désormais favorable.

Dans son commentaire, le journaliste présente cette défaite humiliante pour la France sous les traits d'une résistance héroïque face à un ennemi trop nombreux : « à l'heure où les héroïques soldats du général de Castries cédaient sous le nombre après une défense qui pourra compter parmi les plus hauts faits de toute l'Histoire ». Ce manque d'objectivité est assez caractéristique des Actualités Françaises qui reprennent à leur compte, avec peu d'esprit critique, la version officielle des faits.



La chute de Diên Biên Phu (RTL, 7-9 mai 1964)

« Le 7 mai 1954, après 57 jours de combats, l'armée française est vaincue à Diên Biên Phu dans le Nord-Tonkin. Cette défaite constitue une étape importante dans le processus de décolonisation en Indochine.»




Les Accords de Genève, le 20 juillet 1954

 

Investi à la présidence du Conseil le 18 juin 1954, Pierre Mendès France, opposé à la
« sale guerre », entend lui donner une rapide issue politique. Il fait en sorte que les laborieuses négociations de paix entamées à Genève en avril s'accélèrent et aboutissent. De négociations plénières en entretiens secrets avec Américains, Anglais, Chinois et Soviétiques, il permet que la priorité soit donnée à l'obtention du cessez-le-feu et non à la question de l'avenir politique d'une Indochine qui est cependant partagée en deux (Sud-Vietnam / Nord-Vietnam) sur la ligne du 17e parallèle (comme en Corée et selon l'usuelle frontière de la Guerre Froide).

La signature des Accords de Genève, dans la nuit du 20 au 21 juillet 1954, scelle l'armistice et l'indépendance du Vietnam, du Laos et du Cambodge.


La guerre d'Indochine vue par Pierre Schoendoerffer :
La 317ème section (1965)





Jacques Perrin et Bruno Cremer

En mai 1954, alors que Diên Biên Phu est en train de tomber, la 317e section composée de supplétifs vietnamiens encadrés par un officier et des sous-officiers français, doit abandonner le petit poste de Luong Ba à la frontière du Laos, et rallier la base du Lao Tsaï à cent cinquante kilomètres plus au sud, à travers la forêt hostile et les forces Vietminh qui déferlent sur les Français.


Elle est commandée par le jeune sous-lieutenant Torrens, frais émoulu de Saint-Cyr, secondé par l'adjudant Willsdorff, alsacien, « Malgré-nous » enrôlé de force dans la Wermacht, puis volontaire en Indochine pour racheter son droit à la citoyenneté française.


Au cours de cette fuite ponctuée d'embuscades et de morts, le respect hiérarchique qui unissait les deux hommes se transforme en amitié. Quelques jours plus tard, la 317e section est anéantie sauf trois soldats vietnamiens et Willsdorff qui sera plus tard tué en Algérie.



 

Pierre Schoendoerffer sur la tournage de la 317e section.

Tourné au Cambodge en 1965 par Pierre Schoendoerffer, lui-même
opérateur militaire au sein du Service Cinématographique des Armées pendant la guerre d'Indochine, a voulu faire un film vrai sur cette guerre.

Les camions et le matériel lourd sont abandonnés, aucune grue n'est utilisée pour les mouvements de caméra, toujours portée à l'épaule afin de donner une vision
« à hauteur d'homme » de la guerre. Pendant un mois, les douze membres de l'équipe (acteurs et techniciens confondus) vivent à l'heure du bivouac et arpentent la jungle cambodgienne. Présenté lors du Festival du Film de Cannes en 1965, La 317e section y a remporté le Prix du meilleur scénario.



La 317e Section


Le Déserteur

boris vian

Boris Vian (1920-1959)


En février 1954, Boris Vian écrit sa chanson Le Déserteur qui par son antimilitarisme déclaré fait immédiatement scandale dans le contexte de la fin de la guerre d'Indochine et du début de la guerre d'Algérie
qui éclate au lendemain de « la Toussaint sanglante » de 1954.

Interprétée pour la première fois,
par Mouloudji, le 7 mai 1954, le jour même de la chute de Diên Biên Phu, la chanson qui prend la forme originale et provocatrice d'une lettre ouverte au président de la République de l'époque René Coty, est une véritable déclaration d'insoumission. La première version, jugée trop subversive à cause de sa dernière strophe,« Prévenez vos gendarmes / Que j'emporte des armes / Et que je sais tirer… » (strophe qui sera remplacée par « Que je n'aurai pas d'armes / Et qu'ils pourront tirer… ») est bientôt interdite.

Exclue de l'antenne, de la scène et de tout support discographique, la chanson semble condamnée à la disparition et à l'oubli, mais le bouche-à-oreille fait son effet, et elle se répand clandestinement, de proche en proche, dans les milieux pacifistes de l'époque. Coup de pouce non négligeable, Europe n° 1, fondée en 1955 et désireuse d'imposer un ton nouveau et résolument anticonformiste pour l'époque, profite de la liberté que lui offre le fait de ne pas émettre depuis le territoire national pour diffuser la plupart des chansons alors censurées en France dont
Le Déserteur.

    Monsieur le Président
    Je vous fais une lettre
    Que vous lirez peut-être
    Si vous avez le temps

    Je viens de recevoir
    Mes papiers militaires
    Pour partir à la guerre
    Avant mercredi soir

    Monsieur le Président
    Je ne veux pas la faire
    Je ne suis pas sur Terre
    Pour tuer des pauvres gens

    C'est pas pour vous fâcher
    Il faut que je vous dise
    Ma décision est prise
    Je m'en vais déserter

    Depuis que je suis né
    J'ai vu mourir mon père
    J'ai vu partir mes frères
    Et pleurer mes enfants

    Ma mère a tant souffert
    Elle est dedans sa tombe
    Et se moque des bombes
    Et se moque des vers

    Quand j'étais prisonnier
    On m'a volé ma femme
    On m'a volé mon âme
    Et tout mon cher passé

    Demain de bon matin
    Je fermerai ma porte
    Au nez des années mortes
    J'irai sur les chemins

    Je mendierai ma vie
    Sur les routes de France
    De Bretagne en Provence
    Et je dirai aux gens

    Refusez d'obéir
    Refusez de la faire
    N'allez pas à la guerre
    Refusez de partir

    S'il faut donner son sang
    Allez donner le vôtre
    Vous êtes bon apôtre
    Monsieur le Président

    Si vous me poursuivez
    Prévenez vos gendarmes
    Que je n'aurai pas d'armes
    Et qu'ils pourront tirer

La deuxième version interprétée par Boris Vian :


Découvrez Boris Vian




Le Déserteur est
emblématique des chansons du refus dénonçant le militarisme et le colonialisme, qui fleurissent dans les années cinquante, à l'exemple de la chanson interprétée en 1953 par Yves Montand, Quand un soldat :


Découvrez Yves Montand








Mais la chanson du refus, stimulée par l'influence des idées de gauche et l'impact des guerres coloniales, est très vite éclipsée par le raz-de-marée de la vague yéyé qui submerge la France des années soixante. 


28/12/2008

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