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"L'émancipation des peuples dépendants et l'émergence du Tiers Monde" Conférence de Daniel Lefeuvre


Extraits de la conférence de Daniel Lefeuvre (Paris VIII)
lors de la journée de l'APHG le 4  décembre 1999


Compte-rendu d'Armand Lasry
(
professeur animateur au Centre Pédagogique de Blois)
d'après les notes d'Armand Lasry et de Jean-Philippe Desmoulières




L'émancipation des peuples dépendants et l'émergence du Tiers Monde




Daniel Lefeuvre a écrit « Chère Algérie », une étude économique de la domination coloniale en Algérie.

 

Le sujet pose plus de questions que de réponses.

 

L'émancipation des peuples du Tiers Monde : il est difficile de répondre. L'émancipation se résume-t-elle à la décolonisation ou l'émancipation est-elle une formulation nouvelle des liens avec l'ancienne métropole ? L'assimilation est-t-elle une recomposition politique ?

 


L'assimilation avec la loi de la départementalisation de 1946, où faut-elle la placer ? Est-elle un renforcement de la domination  française ? Est-ce que les problèmes sont liés ?

 


La libération nationale s'accompagne-t-elle de l'émancipation des peuples ? Quels liens avec l'ancienne métropole coloniale ? Quel est le rôle de la zone franc ? Quels sont les rapports entre les populations indigènes et les anciens colons ? Quelle date faut-il retenir pour l'Afrique du Sud ? 1910, 1961 ou 1994. Pour l'Afrique du Sud faut-il parler d'indépendance ou d'émancipation ? Que faut-il considérer ?

 


Les régimes politiques issus de la décolonisation : le nouvel ordre intérieur est-il plus démocratique ? La victoire de FLN a-t-elle entraîné l'émancipation des Algériens ?

 


L'émergence du Tiers Monde :

 

C'est une aberration d'associer l'émergence du Tiers Monde et l'émancipation qui sont deux moments distincts. Des peuples qui ont acquis leur indépendance en 1991 n'étaient-ils pas déjà émancipés ? Pour les pays de l'Europe de l'Est depuis 1991, il s'agit d'émancipation, à l'époque de l'empire tsariste, il s'agit de décolonisation. Tiers Monde : c'est un mot de Sauvy, de journaliste. C'est un concept flou. C'est une image qui ne permet pas de comprendre la réalité. Il y a confusion entre les trois termes : émancipation, colonisation, Tiers Monde. Il faut bien les distinguer.

 


I - Diversité des processus d'émancipation des peuples dominés


  • émancipation nationale avec décolonisation
  • émancipation nationale blanche, émancipation noire.
  • émancipation sans décolonisation.


 

1. Émancipation nationale avec décolonisation

 

Il faut rejeter la notion de modèle : celle réussie comme la décolonisation britannique ou ratée comme la décolonisation française en Algérie ou en Indochine. Il n'y a pas non plus de décolonisation précoce (Royaume-Uni) ou tardive (Portugal).Ce sont des notions commodes seulement. Il faut analyser au cas par cas. Des politiques ont été menées ou non. La France a fait preuve de lucidité envers la Martinique, les Antilles, la Guyane, la Réunion ou l'Afrique noire. La Grande Bretagne s'enlise dans des guerres longues en Palestine, en Malaisie, au Kenya, à Chypre. La seule décolonisation sans conflit a été la décolonisation italienne car le régime s'est effondré.

La démarche chronologique est la plus juste à adopter. C'est un processus de longue durée.

La première période commence en 1910 avec l'Union Sud Africaine ou la SDN avec les mandats qui doivent conduire les peuples à la souveraineté. Le processus s'engage après la Première Guerre mondiale avec l'Égypte en 1922. En 1936, le processus se raffermit par les accords de la France avec la Syrie et le Liban pour les mener à l'indépendance.

 

La deuxième période se situe après la Seconde Guerre mondiale qui a été un facteur d'accélération avec l'adhésion de nombreux pays à l'ONU.

 

- 1945 : 55

 

- 1960 : 100. Le nombre de pays a été multiplié par deux.

 

- 1960-1980 : de 100 à 154

 

Plusieurs sortes de décolonisations se mêlent. Certaines sont réussies, d'autres sont ratées. Après 1960, une guerre de décolonisation avec le Portugal, l'Espagne, la France (Nouvelle Calédonie), la Grande-Bretagne avec la question irlandaise. Toutes les décolonisations sont violentes à l'exception de celle de l'Italie qui s'explique par l'effondrement du régime. Les métropoles ont dû agir sous la contrainte des mouvements libéraux, des pressions internationales. La décolonisation a entraîné une vingtaine de guerres comme la France avec l'Indochine, l'Algérie. Les colonies ont eu surtout pour motivation l'idée d'indépendance et non de faire une révolution socialiste. Les enjeux sont surtout nationaux. Les militaires français pensaient à une guerre révolutionnaire. Ils se trompaient.

 

La décolonisation des Indes Néerlandaises a été meurtrière, au Kenya, il y a une guerre meurtrière, guerre aussi en Angola, en Guinée Bissau, au Mozambique. Ces guerres ont touché toutes les puissances coloniales. Là où il n'y a pas eu de guerre, il y a eu des violences profondes comme les violences de Madagascar en 1947 et la répression qui a suivi. Il n'y a pas eu de guerre au Maroc, en Tunisie mais des violences endémiques et des répressions. Le mot « fellagha » est né en Tunisie, pas en Algérie. La guerre a eu lieu au Congo. Des affrontements violents ont eu lieu en Inde. Les indépendances ont été arrachées par les peuples colonisés. Le coût de la colonisation exorbitant a fini par l'emporter.

 

Les contraintes internationales. Actuellement, on minimise le poids des relations internationales.

 

Rôle des États-Unis, le prestige de la puissance de l'Union soviétique.

Rôle de la contrainte internationale : rôle des États-Unis pour l'Algérie, rôle de l'ONU.

On tend à limiter le rôle des grandes puissances dans la décolonisation. Ainsi le rôle des États-Unis aurait pesé peu dans la fin de la guerre d'Algérie.

 

2. Émancipation blanche, émancipation noire

 

En Afrique du Sud et en Rhodésie. Ce sont des processus violents. La Rhodésie indépendante conforte le pouvoir de la minorité blanche. De 1965 à 1974, on a l'impression d'un succès malgré la pression internationale. Elle est minée par des guérillas multiformes.

La Rhodésie blanche a du mal à se maintenir car la démographie noire est forte d'où un compromis de 1979 avec accès au pouvoir de la majorité noire. C'est une manière de conserver les privilèges pour la minorité blanche. Les accords ne sont pas réussis. Ils ont été remis en question. C'est un échec. Il n'y a pas de décolonisation réussie.

 

3. Émancipation sans décolonisation

 

Avec la départementalisation par la loi du 9 mars 1946 adoptée par la France pour la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion. Au départ, ce n'est pas le fruit de la générosité. Cette politique a été appuyée par la gauche socialiste et communiste par crainte que l'influence française soit remise en question par l'influence américaine. La départementalisation est ambiguë. Elle est l'enjeu de combats entre le maintien de la souveraineté avec des revendications indépendantistes, de luttes syndicales violentes.

Le processus de décolonisation reste inachevé parce qu'il se poursuit en Nouvelle Calédonie, en Irlande. Ailleurs, il est bloqué. C'est le cas pour les Malouines, les Falkland.

 

Émancipation et démocratie.

Le processus est ambigu entre indépendances nationales et émancipation des peuples. Rarement les indépendances ont été accordées contrairement aux discours accompagnés de pratiques démocratiques avec des coups d'État militaires en Afrique. En 1976 20 États des 41 étaient dirigés par des gentes militaires en Afrique. Ce qui était fondamental, ce ne sont pas les idées démocratiques mais les idées nationales qui comptaient. Les nouveaux États ont été libérés et démocratiques. Les mouvements nationaux ont manifesté des revendications nationales, démocratiques. Ce sont les contraintes nationales qui l'ont emporté même par la violence.

 

II - L'émergence du Tiers Monde

 

Émergence diplomatique et internationale avec l'entrée d'États dans l'ONU.

 

Création des mouvements des non-alignés en 1955 avec 29 États.

 

Conférence des non-alignés à Belgrade.

 

1953 : conférence de l'OUA.

 

Une émergence économique :


- avec l'OPEP

- 1963 : groupe des 77. Conférence pour le commerce et le développement CNUCED.

 

Pour l'ONU, on sent le poids de ces pays, de leurs revendications. Cela peut donner l'illusion de puissance de l'ONU. Quel a été le poids de l'ONU dans la guerre d'Algérie ? Nul. Dans le Proche-Orient, nul, pour l'Afrique du Sud avec l'apartheid, nul.

 

L'OPEP se constitue en 1960. La création de l'OPEP n'a pas modifié le cours du pétrole. Le redressement des prix est dû à la consommation mondiale. Il y a eu une tension sur les marchés avec les États-Unis qui deviennent le 1er consommateur de pétrole dans les années 1970. Un nouveau changement important se produit lorsque Nixon découple le dollar de l'or en 1971. L'OPEP joue un rôle très secondaire. Cela dure une dizaine d'années. Le contre-choc pétrolier est lancé par l'OPEP. Le pouvoir des consommateurs s'est organisé en économisant la consommation. Élargissement avec de nouveaux gisements. L'éclatement de l'OPEP se produit avec la guerre Iran-Irak.

 

Le Tiers Monde ne s'est manifesté qu'une dizaine d'années. Il n'y a pas de solidarité entre les États qui le composent. Le Tiers Monde est une image occidentale. Les pays du Tiers Monde ont fait prévaloir leurs intérêts nationaux. Les ensembles durables sont ceux qui associent les pays du Tiers Monde avec les anciennes métropoles. Les accords de Lomé, les relations nord-sud sont plus durables.

 

III - Questions après la conférence

 

1. Quels ont été le rôle des élites, le poids des élites dans la décolonisation ?

 

C'est très difficile de l'évaluer. C'est très différent et très variable d'un pays à l'autre. Les élites concernent de 1 à 3 % de la population. Ce sont des intellectuels. Ils sont en Europe ; ils ne vivent pas dans leur pays. Il faut chercher les élites dans une petite bourgeoisie, dans les commerçants. Il faut souligner le rôle des élites ouvrières comme les dockers, dans les chemins de fer, les mines. Ce sont les premiers foyers. Il faut signaler le poids des élites religieuses comme les missionnaires. Les élites européennes ont aussi joué un rôle dans les indépendances.

 

2. La crise de Suez : quelles ont été son importance et son rôle ?

 

Elle a une double dimension. C'est une tentative militaire pour maintenir la liberté de circulation. Pour les Français, l'Égypte constitue une base arrière pour l'Afrique. C'est faux. Il y a l'idée se de mettre à genoux l'Égypte qui soutient les rebelles algériens. Le conflit au Moyen-Orient renforce l'existence d'Israël contre l'armée la plus menaçante. Il y a un décalage entre la politique américaine, française et anglaise.

 

3. Le non-alignement : quels ont été le rôle et l'importance des pays non alignés ?

 

On pense à l'influence soviétique contre les États-Unis. Pas de cohérence. Ces pays votent des résolutions contre l'apartheid, pour la revalorisation des matières premières et sont opposés pour défendre leurs intérêts. Ce mouvement a manqué de cohérence.

 

4. L'Algérie : quels ont été le rôle et l'importance des problèmes démographiques et économiques ?

 

Sur 38 études actuelles, une seule est orientée vers la recherche en économie. Dans les années 1930, l'Algérie connaît un essor démographique, la production n'augmente pas. L'industrialisation se heurte à des obstacles. La métropole achète la production au-dessus des cours mondiaux. Les obstacles à l'industrialisation sont :


  • le manque d'énergie avant la découverte du pétrole et du gaz en 1962.
  • le manque de main-d'œuvre qualifiée et bien formée. La demande de recruter une main d'œuvre indigène se heurte à des obstacles et ne réussit pas sur place.
  • pas de marché intérieur.



10/12/2008

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