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"Les transformations économiques et sociales du monde depuis 1945" Extraits de la conférence de J. Marseille (APHG - décembre 1999)

Extraits de la conférence de Jacques Marseille (Paris I) lors de la journée de l'APHG (4/12/99)

Compte- rendu de Stéphane BLARDAT,

Lycée Claude de France, Romorantin


  • I - CROISSANCE CONTINUE DE 1945 A NOS JOURS DANS LES P.I.D

    1. La lecture des P.I.B. (rappel : le P.I.B. est la somme des valeurs ajoutées des différentes branches de l'économie, de la T.V.A et des droits de douanes). Les premiers chiffres du P.I.B. remontent au début des années cinquante en France. Concept récent. Le P.I.B. mesure les richesses créées en une année par une population. Il existe un P.I.B. marchand (agriculture, services : banques, assurances…) et un P.I.B. non marchand (police, enseignement… chiffré à partir des salaires de chacun).

      Le P.I.B. des années 30 reconstitué montre que la crise de 1929 n'est pas aussi grave que ce que laisserait penser la courbe des taux de productions industrielles.

      Cf le tableau des P.I.B depuis 1933 en France , aux Etats-Unis, au Japon, en Allemagne et au Royaume-Uni.

      (tiré de L'économie mondiale de 1920 à 1992 d'Angus Maddison, OCDE, 1995.)

      On observe une croissance continue , nulle trace de crise !

      Le P.I.B. des Etats-Unis multiplié par 3.3, celui du R.U. par 2.8, Allemagne 6, France 9.9 (!!), Japon 23.3…

      Enorme historiquement. Cette croissance s'accompagne d'une convergence des P.I.B. des Pays Industrialisés alors que les écarts étaient plus importants en 1945. Convergence des niveaux de vie.

      Cf courbe du salaire moyen d'un ouvrier français depuis 1950 (tiré de Marchand et Thélot Le travail en France 1800 à 2000, ed Nathan). Forte croissance. Pouvoir d'achat multiplié par 4 en 30 ans! Alors que d'aucun affirmait pourtant que le capitalisme était le fossoyeur de la classe ouvrière en provoquant sa paupérisation. On note toutefois un ralentissement de cette croissance à partir de 1981.

      En fait , si l'on parle de crise c'est à dire de recul de la production de richesses d'une année sur l'autre, on s'aperçoit que pour la France ce recul ne concerne que 1975, 1967, 1975, 1982 pour l'Allemagne etc.

      Il n'y a pas de crise économique. Sauf si on parle en taux car on passe de 4 à 5 % dans les années 50 à des taux de 2 à 3 % aujourd'hui. Or il ne faut pas oublier que, pendant la Révolution industrielle au XIXème siècle, les taux de croissance étaient de 1 à 1.5 % ! On sait très bien que plus la production est énorme plus il est difficile d'atteindre des taux élevés.

      France 1955 croissance : 4.8% valeur ajoutée par hab.: 289$

      1994 croissance: 1.6% valeur ajoutée par hab.: 288$

      Avec des taux nettement inférieurs nous créons aujourd'hui autant de richesses qu'il y a 40 ans.

      L'angoisse actuelle est de constater que la forte production de richesses ne s'accompagne pas d'une juste redistribution. Mais pas de crise économique…


    II - FACTEURS DE CETTE RUPTURE FORTE DANS L'HISTOIRE ECONOMIQUE DU MONDE DEPUIS 1945
     

      - facteurs techniques ? Non en fait pas de rupture technique depuis le début de la Révolution industrielle car hausse continue de la productivité. Ex : la 2 CV produite en 1948 a été conçue en 1938.(en répondant au cahier des charges suivant : transporter un couple de paysans avec un sac de blé et un cochon…)


      - rôle massif de l'Etat ? Oui et non d'un pays à l'autre ça varie. Globalement les Etats interviennent plus dans les rouages économiques qu'au XIXème siècle. Les élites ont pris cependant conscience pendant la Seconde Guerre mondiale que la démocratie devait être plus sociale.

      Cf Plan d'organisation des assurances sociales britanniques (1941-1942) de Lord Beveridge. Tout en préservant les libertés fondamentales, l'Etat a, selon lui, pour rôle de lutter contre la misère, le chômage et la maladie.

      Cf Programme du C.N.R. de mars 1944.

      Protéger le travailleur, développer la consommation trouvent un écho favorable à gauche et à droite à La Libération. ( Création de la sécurité sociale ) Conséquence du traumatisme de la guerre et du nazisme.

      - capital humain essentiel :

      °multiplication sans précédent de la population avec le Baby-boom. A relativiser car même phénomène au XIXème siècle avec la transition démographique.


      °Progrès considérable de l'éducation et de la formation de la main d'œuvre. Niveau de qualification jamais atteint.


      °solidarité entre les pays industrialisés "Plus jamais ça". Entente pour terrasser les démons du nazisme, du protectionnisme dévastateur des années 30. Les Américains se sentent un peu responsable du déclenchement de la guerre après avoir torpillé la conférence de Londres de juin 1933 sur le règlement financier de la crise en Europe. Cf la Conf. de presse de Roosevelt en 1941 quand il annonce la loi Prêt-Bail en sachant que le remboursement est illusoire. Cette mesure est en rupture avec la loi Cash and Carry de 1937 qui le repli nationaliste des Etats-Unis.


    III - LES MANIFESTATIONS SOCIALES DE CETTE CROISSANCE : DES MUTATIONS SANS PRECEDENT

     
    bulletDisparition des paysans . Vrai pour tous les pays industrialisés mais surtout pour la France où le nombre des fonctionnaires du ministère de l'agriculture est bientôt supérieure à celui des exploitants agricoles. Traumatisme culturel d'autant plus fort qu'il se surgit en moins d'une génération !

    bulletDisparition annoncée des ouvriers. En France le chiffre record est atteint en 1984 avec 8,2 millions soit 37,4 % des actifs. Aujourd'hui 6.7 millions soit 26 % des actifs.

    bulletEclatement du monde ouvrier. Disparition de la figure historique du cheminot, du docker, du mineur…; fin de la grande usine (Billancourt, Le Creusot, Longwy… des cimetières ou musées maintenant, voire des Lieux de Mémoire ).

    bulletDéveloppement d'une classe moyenne pléthorique. 70 % des actifs. Mais elle n'existe pas en tant que classe! Aucune conscience de groupe. Quelle représentation syndicale ou politique? Elle est un pur produit de la société de consommation et elle consomme. Tout, y compris la politique! Un coup à gauche ,un coup à droite… La "classe" moyenne est non structurée , elle reste un ensemble d'individus atomisés. ( On est loin des masses de granit chères à Napoléon Ier). Ce qui explique , peut-être qu'à l'école nous ayons des consommateurs qui se moquent de leur ascension sociale contrairement aux deux ou trois générations précédentes.

    bulletMamy-boom et baby-krach depuis 1970. La loi sur les retraites à 60 ans en 1945 est entre parenthèses une escroquerie intellectuelle quand on sait que l'espérance de vie de l'époque était au maximum de 65 ans. La révolution démographique actuelle est un problème majeur qui se pose au Welfare State. Gain d'espérance de vie est un progrès qu'il faut pouvoir financer. (retraite, dépenses de santé..)

    bulletEssor du tertiaire. La valeur ajoutée des hôtels, cafés, restaurants est le double de celle de la sidérurgie! Celle des locations, locations de toute sorte, équivaut à celle du B.T.P.

    bulletFéminisation accrue des emplois. 41% en 1961 en France; 78% en 1995. Donner à garder ses enfants est bon pour gonfler le P.I.B…

    bulletChômage structurel. Avec deux modèles divergents. L'anglo-saxon et le franco-allemand. Le premier privilégie une hausse des inégalités tant que le chômage diminue. Le second contient les inégalités au détriment de l'emploi. En effet, les inégalités ont diminué en France depuis 1973 mais le chômage… Cf l'ouvrage de Daniel Cohen, Le chômage, prix des mutations phénoménales de nos sociétés. (Comme dans la période 1880-1910.) Le chômage n'est pas tant le produit d'une crise économique.

      D'une société de consommation dans les années 50 à 70, nous passons à une société de consommateurs dont les valeurs sont toujours celle de la génération précédente. Décalage handicapant pour penser une nouvelle société en germe à la fin de ce millénaire. Exemple: la loi des 35 heures semble être une hérésie quand on songe que notre temps de travail est de 12% sur notre temps de vie éveillée en 1990 alors qu'il était de 40 % en 1950. Cette loi s'impose-t-elle alors économiquement et socialement ?

     On pourra compléter ces idées qui vont à l'encontre des habitudes en (re)lisant les articles de J. Marseille parus dans la revue L'Histoire:

    n° 215 : aspects de la crise française

    n°192 (oct 1995) : autopsie de la croissance des 30 Glorieuses

    n°172 (Déc 1993) : la crise économique est-elle cyclique ? 



    23/10/2009

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