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1956 en Pologne et en Hongrie

Après la mort de Staline le 5 mars 1953, le " nouveau cours " voulu par la direction du Parti communiste d'URSS (et qu'illustre en particulier la reconnaissance du " titisme ") encourage à plus de hardiesse les éléments réformistes et libéraux dans les démocraties populaires. Les révélations du XXe Congrès sur les crimes de Staline laissent espérer un " dégel du glacier des dogmes ".

La réintégration de Gomulka au comité central du Parti communiste polonais



Wladislav Gomulka, vice-président du Conseil des ministres en 1945, définit une "voie polonaise vers le socialisme" et refuse la collectivisation des terres. Il est élu au Comité central du Parti Ouvrier Unifié de Pologne (POUP) en 1948. Mais Moscou ne voit pas d'un bon oeil les positions de Gomulka, trop indépendantes et trop peu soumises aux ordres : il est démis de ses fonctions et exclu du Parti pour " titisme, déviationnisme et nationalisme " en 1949. Arrêté en 1951, en pleine période de terreur stalinienne, il est libéré en 1954 et réhabilité suite à la politique de détente de Khrouchtchev.
En juin 1956, la Pologne est le théâtre d'émeutes ouvrières d'envergure : à Poznan, une manifestation regroupe 50 000 ouvriers qui réclament une amélioration de leur niveau de vie, des élections libres et le départ des troupes soviétiques. La révolte est réprimée par le pouvoir polonais - 54 morts et 300 blessés.
En octobre 1956, suite à la mort de Bierut, la Direction communiste polonaise est profondément divisée. Gomulka est soutenu par une majorité des membres du Parti, qui estiment qu'il est le seul homme capable de sauver le régime. Au cours d'un voyage éclair, les dirigeants soviétiques, inquiets de l'éventuel retour de Gomulka, reçoivent l'assurance de ce dernier que son gouvernement ne sera pas anti-soviétique ; un nouveau Politburo est alors élu le 21 octobre par le Comité Central. Gomulka devient alors premier secrétaire du Comité Central du Parti polonais.
Douze ans plus tard, l'ancien libéral Gomulka va soutenir l'intervention militaire soviétique à Prague en 1968 ; il sera écarté du pouvoir après les émeutes ouvrières de Gdansk, Gdynia et Szczenine de décembre 1970.

L'insurrection de Budapest

Smashed statue of Stalin
La statue déboulonnée de Staline

En Hongrie, le 23 octobre 1956, à l'issue d'une manifestation de soutien aux polonais, rassemblant plus de 10 000 personnes, une statue de Staline est renversée. Des unités de l'armée hongroise envoyées pour rétablir l'ordre fraternisent avec les manifestants.
Devant l'ampleur des événements, les Soviétiques se retirent de Budapest.
Un nouveau gouvernement porté par la volonté populaire et dirigé par Imre Nagy s'installe au pouvoir. Sous la pression populaire qui revendique des élections libres et le rejet du pacte de Varsovie, Imre Nagy annonce le retour au pluralisme politique.
Mais en affirmant, le 1er novembre, la neutralité de la Hongrie, il franchit une limite inacceptable pour l'URSS, soucieuse de l'intégrité du bloc soviétique. Le 4 novembre, un millier de chars russes envahissent la capitale. Janos Kadar est placé au pouvoir. La répression qui s'ensuit fait près de 20 000 morts et 15 000 déportés, tandis que des dizaines de milliers de Hongrois prennent le chemin de l'exil. Imre Nagy sera exécuté le 17 juin 1958.




Ce document prend fait et cause pour l'insurrection hongroise. Davantage qu'un compte-rendu journalistique, il s'agit d'un vibrant hommage au sacrifice du peuple hongrois, érigé en martyr de la lutte du monde libre contre la dictature soviétique.

Pour aller plus loin :


Un article de Vincent Jauvert, Le Nouvel Observateur, paru le 02 novembre 2006 :

 

Il y a cinquante ans, l'insurrection de Budapest

Hongrie 56 : Pourquoi l'Amérique n'a pas bougé

 

Un demi-siècle après le soulèvement de Budapest, le livre de Charles Gati, universitaire américain, ancien conseiller du Département d'Etat, qui a eu accès aux archives de la CIA, apporte des révélations spectaculaires sur l'attitude de Washington face à la révolte hongroise.

 

Le Nouvel Observateur. - Les Américains portent une lourde responsabilité dans la tragédie de Budapest de novembre 1956, écrivez-vous dans votre livre. Pourquoi ?

 

Charles Gati. - Parce que les Américains, après avoir tout fait pour susciter le soulèvement des Hongrois, n'ont rien entrepris, quand la révolte tant encouragée s'est enfin produite, pour aider les combattants de la liberté, ni rien non plus pour arrêter les Russes, absolument rien. Malgré ses promesses réitérées, l'Amérique a tout simplement abandonné Budapest à son sort. Bien entendu, les bourreaux dans cette affaire sont les Soviétiques, qui, avec leurs 2 500 chars, leurs chasseurs bombardiers et leur artillerie, ont en quelques jours de novembre 1956 écrasé la rébellion et massacré plus de 2 000 personnes. Mais en 1992 le président russe, Boris Eltsine, a reconnu que cette boucherie était « une honte indélébile » qui pèserait à jamais sur l'URSS. Il est donc temps que l'Amérique admette, elle aussi, ses torts historiques...

 

N. O. - Vous voulez parler des illusions données, dans les années 1950, aux peuples de l'Est asservis par les Russes ?

 

C. Gati. -Oui. Le président américain de l'époque, Dwight Eisenhower, avait fait de la « libération » de l'Europe centrale l'un des axes majeurs de sa politique étrangère - en paroles, tout au moins. En public, il fustigeait l'attitude de son prédécesseur, le démocrate Harry Truman, qui avait choisi de « contenir » l'avancée de l'URSS. Eisenhower prétendait que ce n'était pas suffisant, qu'il fallait faire reculer l'empire soviétique, le contraindre à lâcher prise à Prague, à Varsovie ou... à Budapest, et tout entreprendre pour y parvenir.

 

N. O. - Mais que disait-on, en privé, à la Maison-Blanche ?

 

C. Gati. - L'inverse ou presque ! On a récemment découvert dans les archives une phrase incroyable que le vice-président américain de l'époque, Richard Nixon, avait prononcée en petit comité trois mois avant le soulèvement de Budapest, une remarque qui illustre parfaitement le double langage et le cynisme de l'administration Eisenhower. A propos d'éventuelles révoltes derrière le rideau de fer, Nixon a déclaré le 12 juillet 1956 : «Il ne serait pas mauvais pour les intérêts américains que la main de fer des soviets s'abatte de nouveau sur le bloc de l'Est.» Autrement dit, le vice-président américain espérait que les Russes allaient perpétrer un massacre quelque part en Europe centrale, pour que les Etats-Unis puissent les dénoncer sur la scène mondiale et rehausser ainsi leur image. Et c'est très exactement ce qui s'est passé trois mois plus tard...

 

N. O. - Pourquoi, alors, tous ces discours enflammés sur le «recul» ?

 

C. Gati. -Pour gagner les élections, pardi ! Il s'agissait tout simplement de surenchère politicienne. Je m'explique. Au cours de la campagne présidentielle de 1952, le vote des émigrés d'Europe centrale était crucial dans certains grands Etats, comme le Michigan ou l'Illinois. Pour remporter la victoire, Eisenhower a donc décidé de séduire ces électeurs en leur promettant une « libération » prochaine de leurs anciennes patries. Ce faisant, il s'attirait aussi les bonnes grâces de la droite évangélique, qui, comme aujourd'hui, faisait de l'« exportation » de la démocratie l'un de ses chevaux de bataille. Et comme Eisenhower, généralissime du débarquement en Normandie, avait libéré l'Europe de l'Ouest du joug nazi sept ans plus tôt, on l'a cru. Mais, en réalité, ce qu'il voulait obtenir, ce n'était pas un reflux des Russes mais plus prosaïquement un roll-back du Parti démocrate.

 

N. O. -Pendant la présidence d'Eisenhower, la CIA n'a-t-elle donc rien entrepris derrière le rideau de fer et en Hongrie en particulier ?

 

C. Gati. - Si, de la propagande, beaucoup de propagande, grâce à la radio qu'elle finançait clandestinement, Radio-Free-Europe. Mais pour le reste, rien ou très peu et très mal. J'ai eu accès l'année dernière aux archives de la CIA pour cette période. Et qu'ai-je découvert, à ma grande stupéfaction ? Qu'avant et pendant le soulèvement de 1956, l'agence n'était en contact avec aucun groupe armé à l'intérieur de la Hongrie, qu'elle ne disposait d'aucun agent dormant qui aurait pu intervenir pour soutenir les rebelles. Plus incroyable encore, la CIA n'avait qu'un seul officier parlant le hongrois à Budapest et aucun au QG de sa section hongroise. Enfin, elle n'avait plus en Europe de l'Ouest aucune unité paramilitaire prête à intervenir au-delà du rideau de fer et notamment en Hongrie. Washington avait fermé en 1953 tous les camps d'entraînement destinés à ces unités, centres qui étaient pour l'essentiel basés en Allemagne de l'Ouest.

 

N. O. - Pourquoi un tel repli ?

 

C. Gati. - Pour plusieurs raisons. D'abord, la CIA avait enregistré beaucoup d'échecs en Europe de l'Est dans les années précédentes. En 1949, une tentative de débarquement en Albanie, qui visait à renverser le gouvernement communiste de Tirana, s'était soldée par un désastre, décourageant par là même toute autre velléité d'organiser un putsch militaire pro-occidental dans le bloc soviétique. Ensuite, en 1952, la CIA avait été roulée dans la farine par les services secrets polonais. L'agence américaine avait en effet cru dénicher un gigantesque réseau de résistance à l'occupation soviétique en Pologne. Pour aider ces prétendus combattants de l'ombre, elle avait donné à des intermédiaires un million de dollars en or - une fortune. Mais, quelques jours plus tard, Radio-Varsovie annonçait triomphalement que ces prétendus intermédiaires étaient en fait des espions polonais qui avaient monté une énorme opération d'intoxication. Ridiculisés, les hommes de la CIA ont juré qu'on ne les y reprendrait plus.

 

N. O. - La guerre de Corée a joué aussi, non ?

 

C. Gati. - En effet, ce conflit a contraint la CIA à redéployer ses effectifs vers l'Asie, là où la guerre avec les communistes n'était pas froide mais brûlante. Dans ce contexte, la Hongrie, petit pays coincé entre l'Autriche, la Tchécoslovaquie et la Roumanie, était, aux yeux de la Maison-Blanche, d'un intérêt stratégique bien mince : en fait, elle était même le dernier sujet de préoccupation de la CIA en Europe de l'Est.

 

N. O. - Pourtant, Radio Free Europe ne cessait de répéter aux Hongrois que, le jour où ils se soulèveraient, l'Amérique les aiderait.

 

C. Gati. - Oui, et c'est bien là le drame, la faute historique de l'Amérique. Car les Hongrois ont cru à ce gigantesque mensonge. Après l'écrasement de la révolte, on a interrogé des centaines de réfugiés qui fuyaient le pays via l'Autriche. On leur a demandé s'ils avaient pensé que les Etats-Unis viendraient à la rescousse des insurgés. Savez-vous combien ont répondu oui ? 96%... La branche hongroise de Radio Free Europe, Radio Hongrie libre, était extrêmement populaire. Malgré le brouillage, tous les Hongrois ou presque l'écoutaient. Et en 1956 plus que jamais puisque cette radio avait été la première à avoir rendu public le fameux discours de Khrouchtchev qui dénonçait les crimes de Staline. On avait donc confiance en elle.

 

N. O. - Quel rôle cette radio a-t-elle joué pendant le soulèvement ?

 

C. Gati. -Au début, elle donnait des conseils pratiques aux insurgés. Sur les ondes, deux « conseillers militaires » expliquaient comment fabriquer des cocktails Molotov, des mines artisanales, ou comment mettre hors de combat un char soviétique T-34. Puis, quand les choses se sont calmées, le 28 octobre, la radio a continué à chauffer les esprits ; elle a tout fait pour saper le cessez-le-feu conclu entre les Soviétiques et le tout nouveau Premier ministre hongrois, le communiste réformateur Imre Nagy. Les journalistes de Radio Free Europe appelaient à poursuivre le combat. Ils affirmaient que les troupes soviétiques stationnées en Hongrie étaient moins nombreuses qu'on ne le croyait, qu'il ne fallait pas écouter le gouvernement Nagy ni jeter les armes, qu'une « victoire » était possible. C'était totalement irresponsable.

 

N. O. - Pourquoi la radio a-t-elle agi de la sorte ?

 

C. Gati. - Parce que, pour l'administration américaine, il était inconcevable de soutenir un communiste, même un réformateur aussi audacieux qu'Imre Nagy. La Maison-Blanche ne voulait pas entendre parler d'un changement progressif, d'une libéralisation graduelle dans le bloc de l'Est. Elle voulait l'effondrement pur et simple de l'empire soviétique, pas une évolution.

 

N.O. - Intransigeance qui, paradoxalement, a fait le jeu des plus durs au Kremlin...

 

C. Gati. - Evidemment. On sait aujourd'hui, grâce aux comptes-rendus des réunions du Politburo, désormais disponibles dans les archives, que la direction soviétique était extrêmement divisée au sujet de la Hongrie. Souvenez-vous qu'après l'échec d'une première intervention militaire, prudente, contre les insurgés, les Soviétiques avaient décidé de retirer leurs troupes de Hongrie. Car certains, au Kremlin, étaient hostiles à une répression massive, sanglante. Ils devinaient qu'une telle opération serait très néfaste pour l'image de l'Union soviétique, notamment auprès des communistes occidentaux. Ils étaient donc prêts à accorder pas mal de libertés aux Hongrois à condition que ceux-ci demeurent dans l'orbite soviétique. Mais ces changements-là, qui auraient été à la fois modestes et bien réels pour des millions de Hongrois, les Américains ne voulaient pas les soutenir. Radio Free Europe poussait donc les combattants hongrois à refuser ce genre de compromis. Et de fait, poussé par les maximalistes, Imre Nagy est allé au-delà de ce que les « libéraux » au Kremlin étaient prêts à accepter, déclenchant ainsi la terrible répression.

 

N. O. - Qu'aurait pu faire Eisenhower pour éviter l'intervention sanglante des chars russes ? La guerre ?

 

C. Gati. - Non, bien sûr, car le risque était trop grand qu'une opération militaire conventionnelle dégénère très rapidement en conflit nucléaire. Mais il avait beaucoup d'autres possibilités.

 

N. O. -Livrer clandestinement des armes aux insurgés ?

 

C. Gati. - Par exemple. Mais lorsque la CIA a supplié la Maison-Blanche de l'autoriser à le faire, Eisenhower le lui a formellement interdit. Cela dit, même si elle en avait reçu l'ordre, l'agence en aurait été incapable. Elle avait bien un stock d'armement prévu pour ce genre d'occasion quelque part en Allemagne de l'Ouest, mais personne ne savait où il se trouvait exactement... On ne l'a retrouvé qu'en décembre, un mois plus tard.

 

N. O. - Washington aurait pu au moins entreprendre une démarche diplomatique...

 

C. Gati. - Oui, mais aucune n'a été tentée. Eisenhower était tétanisé par l'affaire de Suez [l'action militaire franco-anglaise visant à occuper le canal, nationalisé quelques mois auparavant par le dirigeant égyptien Nasser] qui se déroulait au même moment. Il était totalement passif. A ce sujet, Henry Kissinger, dont on connaît pourtant le réalisme pour ne pas dire le cynisme, a écrit, dégoûté : « Il n'y a eu aucune note diplomatique, pas la moindre pression, aucune offre de médiation. Rien. » En fait, ce n'est que dans les heures qui ont suivi le massacre qu'Eisenhower a accepté de voter une résolution aux Nations unies dénonçant les Soviétiques.

 

N. O. - Y a-t-il eu des sanctions à Washington après l'échec du soulèvement ?

 

C. Gati. - Quelques-unes. Plusieurs journalistes et éditorialistes de Radio Free Europe ont été remerciés, mais pas ceux qui leur avaient donné les directives. Quant à Eisenhower, il a été confortablement réélu président des Etats-Unis, le 6 novembre - le jour même où la plupart des insurgés se sont rendus.

"Anniversaire de l'insurrection de Budapest"  JT de TF1, diffusé le 23 octobre 2006


Un portfolio du journal Le Monde :



03/12/2008

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