nautilus

Paul Celan, poète juif dans la "langue du bourreau"



http://fcom.us.es/blogs/vazquezmedel/files/2009/09/paul-celan.jpg


Paul Celan (de son vrai nom Paul Antschel) est né le 23 novembre 1920 à Cernăuţi ou Czernowitz, en Bucovine, ancienne province autrichienne de l'Autriche-Hongrie devenue roumaine en 1918. Il est le seul fils d'une famille juive germanophone.

Le 9 novembre 1938, le jour même de la Nuit de Cristal, il entame son premier grand voyage pour aller étudier la médecine en France à Tours. Traversant l'Allemagne, il écrit à Édith Silberman :

« Je traverse maintenant une forêt de bouleaux, une forêt allemande. Tu sais, Édith, combien j'avais envie de découvrir ces paysages, mais lorsque je vois monter au-dessus de la cime des arbres d'épaisses nuées de fumées, je tressaille. Je me demande si ce ne sont pas des synagogues qui brûlent, même des hommes ».

Revenu passer ses vacances d'été en Roumanie, la guerre le surprend. Il reste bloqué à Czernowitz où il étudie les langues romanes à l'université. La Bucovine passe peu après sous contrôle soviétique puis allemand en 1941, lors de la rupture du pacte germano-soviétique.

Après la déportation et la mort de ses parents en Ukraine en 1942, Celan est à son tour envoyé en camp de travaux forcés pendant 18 mois, avant la « libération » de la Roumanie par les troupes soviétiques. Il change son nom en Paul Aurel, Paul Ancel, et finalement Paul Celan, et vit à Bucarest comme traducteur et éditeur.

En 1947, il quitte la Roumanie pour Vienne en Autriche où il publie son premier livre, Le sable des urnes (Der Sand aus den Urnen). Il s'installe finalement à Paris en 1948, où il occupe la fonction de lecteur d'allemand et de traducteur à l'École normale supérieure.

Il écrit en mai 1945, à Bucarest, trois mois après la libération du camp d'Auschwitz par l'Armée rouge, son poème, aujourd'hui le plus connu, Todesfuge (Fugue de la Mort) qu'il récite en 1958 :




Todesfuge       

 

Schwarze Milch der Frühe wir trinken sie abends

wir trinken sie mittags und morgens wir trinken sie nachts

wir trinken und trinken

wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man nicht eng

Ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen der schreibt

der schreibt wenn es dunkelt nach Deutschland

     dein goldenes Haar Margarete

er schreibt es und tritt vor das Haus und es blitzen die Sterne

     er pfeift seine Rüden herbei

er pfeift seine Juden hervor läßt schaufeln ein Grab in der Erde

er befiehlt uns spielt auf nun zum Tanz

 

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts

wir trinken dich morgens und mittags wir trinken dich abends

wir trinken und trinken

Ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen der schreibt

der schreibt wenn es dunkelt nach Deutschland

     dein goldenes Haar Margarete

Dein aschenes Haar Sulamith wir schaufeln ein Grab in den Lüften

     da liegt man nicht eng

 

Er ruft stecht tiefer ins Erdreich ihr einen ihr andern singet und spielt

er greift nach dem Eisen im Gurt er schwingts seine Augen sind blau

stecht tiefer die Spaten ihr einen ihr anderen spielt weiter zum Tanz auf

 

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts

wir trinken dich mittags und morgens wir trinken dich abends

wir trinken und trinken

ein Mann wohnt im Haus dein goldenes Haar Margarete

dein aschenes Haar Sulamith er spielt mit den Schlangen

 

Er ruft spielt süßer den Tod der Tod ist ein Meister aus Deutschland

er ruft streicht dunkler die Geigen dann steigt ihr als Rauch

     in die Luft

dann habt ihr ein Grab in den Wolken da liegt man nicht eng

 

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts

wir trinken dich mittags der Tod ist ein Meister aus Deutschland

wir trinken dich abends und morgens wir trinken und trinken

der Tod ist ein Meister aus Deutschland sein Auge ist blau

er trifft dich mit bleierner Kugel er trifft dich genau

ein Mann wohnt im Haus dein goldenes Haar Margarete

er hetzt seine Rüden auf uns er schenkt uns ein Grab in der Luft

er spielt mit den Schlangen und träumet der Tod ist ein Meister

     aus Deutschland 

 

dein goldenes Haar Margarete

dein aschenes Haar Sulamith


Fugue de mort

Lait noir de l'aube nous le buvons le soir
le buvons à midi et le matin nous le buvons la nuit
nous buvons et buvons
nous creusons dans le ciel une tombe où l'on n'est pas serré
Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit
il écrit quand il va faire noir en Allemagne Margarete tes cheveux d'or
écrit ces mots s'avance sur le seuil et les étoiles tressaillent

il siffle ses grands chiens
il siffle il fait sortir ses juifs et creuser dans la terre

une tombe
il nous commande allons jouez pour qu'on danse

Lait noir de l'aube nous te buvons la nuit
te buvons le matin puis à midi nous te buvons le soir
nous buvons et buvons
Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit
il écrit quand il va faire noir en Allemagne Margarete tes cheveux d'or
Tes cheveux cendre Sulamith nous creusons dans le ciel

une tombe où l'on n'est pas serré


Il crie enfoncez plus vos bêches dans la terre vous autres

et vous chantez jouez
il attrape le fer à sa ceinture il le brandit ses yeux sont bleus
enfoncez plus les bêches vous autres et vous jouez encore

pour qu'on danse

Lait noir de l'aube nous te buvons la nuit
te buvons à midi et le matin nous te buvons le soir
nous buvons et buvons
un homme habite la maison Margarete tes cheveux d'or
tes cheveux cendre Sulamith il joue avec les serpents

Il crie jouez plus douce la mort la mort est un maître d'Allemagne
il crie plus sombre les archets et votre fumée montera

vers le ciel
vous aurez une tombe alors dans les nuages où l'on n'est

pas serré

Lait noir de l'aube nous te buvons la nuit
te buvons à midi la mort est un maître d'Allemagne
nous te buvons le soir et le matin nous buvons et buvons
la mort est un maître d'Allemagne son œil est bleu
il vise tire sur toi une balle de plomb il ne te manque pas
un homme habite la maison Margarete tes cheveux d'or
il lance ses grands chiens sur nous il nous offre
une tombe dans le ciel
il joue avec les serpents et rêve la mort est un maître d'Allemagne

tes cheveux d'or Margarete
tes cheveux cendre Sulamith


Paul Celan, traduction Jean-Pierre Lefebvre
© Editions GALLIMARD, 1998, pour la traduction française

Collection « Poésie Gallimard


Paul Celan écrit dans une lettre datée de 1946 : «... je tiens à vous dire combien il est difficile pour un Juif d'écrire des poèmes en langue allemande. Quand mes poèmes paraîtront, ils aboutiront bien aussi en Allemagne et - permettez-moi d'évoquer cette chose terrible -, la main qui ouvrira mon livre aura peut-être serré la main de celui qui fut l'assassin de ma mère... Et pire encore pourrait arriver... Pourtant mon destin est celui-ci : d'avoir à écrire des poèmes en allemand.» Il oppose ainsi aux bourreaux nazis une « contre-langue », une langue de salut et de réappropriation juive qui transfigure la mort et l'exil.

En 1967, il rencontre le philosophe allemand, Martin Heidegger qui fut nazi, espérant de lui une parole de compassion ou une demande de pardon pour les Juifs exterminés. En vain, Heidegger ne voulant reconnaître une quelconque culpabilité allemande. Paul Celan se donne la mort à 50 ans en 1970 en se jetant dans la Seine.


Tenebrae

 

Nous sommes près, Seigneur,

Près et à prendre.

 

Près déjà, Seigneur,

Griffes emmêlées, comme si

le corps de chacun de nous était

ton corps, Seigneur.

 

Prie Seigneur,

prie nous,

nous sommes près.

 

Déjetés, nous allions là,

nous allions là pour nous courber

vers les fosses et les mares.

 

Nous allions boire, Seigneur.

 

C'était du sang, c'était

Ce que tu as versé, Seigneur.

 

Il brillait.

 

Il nous jetait ton image dans les yeux, Seigneur.

Les yeux et la bouche sont tellement ouverts et vides, Seigneur.

 

Nous avons bu, Seigneur.

Le sang et l'image qui était dans le sang, Seigneur.

 

Prie, Seigneur.

Nous sommes près.




10/12/2011

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 8 autres membres