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"USA-Canada : la bagarre des Grands Lacs" Arte Reportage mars 2006


Transcription du reportage de M. Unger, E.Royer, M.Cossette, F.Touly                         
ARTE GEIE – France 2006

Bientôt les fameuses chutes du Niagara qui séparent les Etats-Unis du Canada appartiendront à l'Histoire.
Elles disparaîtront, victimes de l'érosion – dans quelques 2000 ans … Ou alors les Américains finiront, à force de pomper l'eau des Grands Lacs – par les assécher. Et cela, c'est une question d'années.


Dean Jacobs, Chef de la tribu Walpole : « Nous sommes très préoccupés par ces mastodontes politiques qui prennent au dépourvu tous les gouvernements régionaux. Tout le Canada s'inquiète de ce qui se trame aux Etats-Unis. Car les sud et le centre-ouest des Etats-Unis ont l'intention de détourner les Grands Lacs. Et cela a déjà commencé ! Nous devons y mettre un terme et inverser le processus ! »



3000 m3 d'eau par seconde se déversent ici. L'équivalent de 250 000 baignoires pleines. Si le niveau du Lac Erié ne baisse, ne serait-ce que de 20 cm, ce sera la fin de ce spectacle grandiose. Le site attire 12 millions de touristes par an. Mais peu d'entre eux ont conscience que les Grands Lacs sont depuis longtemps déjà, une pomme de discorde entre Ottawa et Washington.
Un touriste : « Dans la région, on se dispute énormément l'eau. J'espère que les deux pays pourront faire quelque chose pour que les chutes ne disparaissent pas complètement. Mais cela va être dur, car en fait, les Américains ont tellement besoin d'eau. Il faut que les deux parties trouvent un compromis – ou qu'il y ait des restrictions. En tout cas, on a pas fini d'en entendre parler. »

Les chutes du Niagara relient le Lac Erié au Lac Ontario qui est plus bas. Les cinq Grands Lacs sont tous reliés entre eux, par voie naturelle mais aussi par des canaux navigables.
Le Lac Michigan - en bas à gauche – est le seul des Grands Lacs à être entièrement situé sur le territoire américain. Les quatre autres sont traversés par la frontière canado-américaine. Les deux pays se partagent donc la responsabilité de cet écosystème. Et l'enjeu est de taille, car les Grands Lacs représentent le plus grand bassin d'eau douce de la planète, un cinquième des réserves mondiales.

Leur superficie est de 245 000 km² (dix fois la Belgique). En décembre 2005, après 10 ans de bras de fer, les deux provinces canadiennes riveraines et 8 Etats américains directement concernés avaient réussi à s'entendre, en interdisant toute dérivation.
Mais cette charte des Grands Lacs n'est rien de plus qu'un accord de principe à l'échelle régionale. Ce qu'il faudrait, c'est un accord bilatéral, au niveau des Etats, entre les USA et le Canada. Car à l'heure actuelle, la Charte ne peut pas empêcher les Etats-Unis, s'ils le souhaitent, d'étancher leur soif dans les Grands Lacs.



David Ramsey, ministre des ressources naturelles, Ontario :
« Non, moi je n'ai pas peur qu'ils le fassent. Car après tout, nous avons réussi à trouver un accord au niveau régional. Dans la région, nous voyons tous de la même façon la problématique de l'eau. Nous savons dans les deux camps, que le danger vient du sud-ouest des Etats-Unis. C'est pourquoi nous avons entamé le dialogue, car nous sommes directement concernés. Les Etats américains riverains ont même entre eux un comité de défense. Nos voisins les plus proches sur le sol américain se rendent aussi bien compte du danger que nous, côté canadien. Nous sommes d'accord pour ne plus vouloir pomper ou dériver de l'eau des Grands Lacs. Ecologiquement, ce n'est pas supportable, nous devons protéger l'environnement. »

Mais tous les Canadiens ne sont pas aussi optimistes que David Ramsey. Dans tout le pays, des voix s'élèvent pour condamner l'insatiable grand frère. Certains craignent que les Américains décident tout simplement de puiser dans les lacs. Et avec cette guerre de l'eau qui se profile, ils ne sont pas loin de penser que c'est la souveraineté même du Canada qui pourrait être menacée.

L'association écologique « Council of Canadiens – Conseil des Canadiens » est très impliquée dans la bataille qui fait rage pour le contrôle de l'eau des Grands Lacs. Eduardo Sousa, écologiste, Conseil des Canadiens :
« Le scénario catastrophe que je vois, c'est qu'un jour, on aura une espèce de mer d'Aral, à moitié vidée et desséchée à la place des Grands Lacs. Parce qu'il y a tellement d'endroit déjà où l'on pompe de l'eau, de l'eau potable ! Sans se soucier des effets à long terme. Bien sûr dans la Charte, on a voulu poser des limites au prélèvement de l'eau. Mais le problème, c'est que la Charte n'indique même pas comment on peut, de manière unitaire, mesurer le prélèvement de l'eau ! »

C'est la semaine de l'eau à Toronto. Des actions sont organisées dans toute la ville : des actions pédagogiques comme cette pièce de théâtre qui est jouée dans plusieurs écoles. Il y a aussi des conférences dans les universités. Et même des rassemblements devant certains ministères.
Un jeune homme : « Le gouvernement canadien est en passe de commercialiser l'eau, car il encourage les partenariats entre entreprises privées et publiques, (ce qu'on appelle des P 3s). »
 


Pour l'instant, il s'agit d'informer les gens. Mais petit à petit, c'est une véritable prise de conscience qui s'opère dans la population. Et comme à chaque fois qu'il est question d'eau, le débat s'enflamme.
Une femme : « Les forces qui sont à l'œuvre, qui préparent la vente et la privatisation de nos réserves d'eau gagnent en force – mais la résistance aussi ! Dans le pays, mais aussi dans le monde entier. »

Dans ce grand bassin d'eau douce, l'eau passe du Lac Supérieur, aux lacs Huron et Michigan, puis dans les lacs Erié et Ontario avant de se déverser dans l'Atlantique via le fleuve Saint-Laurent.
Actuellement, les Etats-Unis dérivent des millions de m3 d'eau du Lac Michigan. Au Canada, de plus en plus de gens craignent que leur pays soit impuissant à mettre un terme à la convoitise des Etats-Unis.

Eduardo Sousa :
« C'est ça la réalité : les Etats du sud des Etats-Unis utilise l'eau de façon complètement irresponsable. Ils assèchent nos réserves d'eau. Et ces prochaines années, la pression va être de plus en plus grande pour qu'on pompe l'eau des Grands Lacs et qu'on l'achemine dans les Etats du sud. En même temps, c'est dans ces Etats que le président Bush a le plus de partisans. Et la population augmente dans ces régions. L'accord de décembre prévoit de protéger les lacs de dérivations supplémentaires, mais vous allez voir, cela va se faire quand même. »

La ville de Chicago pose un problème : avant, la Chicago-River se déversait dans le lac Michigan. Mais à la fin du XIXe siècle, la rivière a été déviée. Depuis elle s'écoule dans la direction opposée, elle traverse Chicago avant de se jeter dans le Mississipi, puis dans le Golfe du Mexique. A coup de pompes, de canaux et d'écluses, l'homme a transformé la nature.

Chicago compte presque 10 millions d'habitants. Aux Etats-Unis la consommation d'eau par jour et par habitant est de 300 litres environ. Deux fois plus qu'en Europe … La Cour Suprême des Etats-Unis est seule à pouvoir décider de la quantité d'eau déviée par la Chicago-River . Le Canada n'a rien à dire. Le conflit est même devenu un sujet de discussion à la Bourse de Chicago.
Un boursier de Chicago : « Si l
es peurs existentielles prennent de l'ampleur, le problème va empirer et les tensions entre les deux pays et leur société aussi. »
ARTE : « Le Canada va-t-il en arriver un jour à commercialiser son eau potable ? »
Le boursier : « Bien sûr ! L'eau va devenir une marchandise à l'échelle mondiale. Ca l'est déjà, et pour plus très longtemps. Et c'est un bien qui va prendre de la valeur. A l'avenir, l'eau sera cotée en bourse comme l'or, le pétrole ou d'autres matières premières. »

Si la croissance économique se maintient, le gaspillage de l'eau potable va augmenter de 10% ces trente prochaines années. Et ce, à l'échelle de la planète ! Seulement 1% de l'eau des Grands Lacs se renouvelle tous les ans. Grâce aux rivières et cours d'eau qui s'y déversent et aux pluies. Mais on estime qu'aujourd'hui déjà, la balance est déséquilibrée : il y a plus d'eau prélevée que d'eau renouvelée.
De plus, la qualité des eaux renouvelées n'est pas toujours bonne.



Marilyn Baxter, Bay Area Restoration Council, Hamilton : « La pollution des eaux des Grands Lacs a trois origines : l'agriculture, l'industrie et pour finir les centres urbains. La moindre chasse d'eau doit être nettoyée dans des bassins d'épuration. L'eau potable que nous utilisons aussi doit être purifiée et réacheminée.
La pollution est surtout visible en été : les algues colorent la roche en vert – et là on sait qu'il y a pollution – et cela commence à sentir mauvais. Les eaux sont très polluées – et j'aimerais que ce soit le contraire. »

Les dernières études montrent que ces trois dernières années, la quantité d'eau des lacs utilisée par l'industrie a augmenté de 21 %. Les aciéries, l'industrie de l'aluminium et du cuivre, celle du papier sont gourmandes en eau. C'est pourquoi elles se sont établies sur les rives des lacs.
L'eau est polluée mais les fonds des lacs aussi, par les furanes, les dioxines et le mercure.

Les Américains sont les plus grands pollueurs des lacs, mais l'industrialisation galopante du Canada pèse également de plus en plus sur l'environnement.

John Hall, Canada Centre for Inland Waters:
« On a répertorié le long des Grands Lacs 43 zones très polluées. Mais pour l'instant, seules deux petites zones, côté canadien, ont été plus ou moins dépolluées. Il y a encore énormément de travail à faire. »

Rien que pour améliorer la qualité de l'eau du lac Ontario et décontaminer le fond , il faudrait engager des travaux à hauteur de 90 millions de dollars.
Un autre danger menace les lacs : le réchauffement climatique. Ni les Etats-Unis, ni le gouvernement canadien n'ont signé le protocole de Kyoto.
Sarah Miller, Canadian Environmental Law Association : « La situation est critique : comme vous pouvez le voir, l'eau du port de Toronto n'est pas gelée, alors que normalement en cette saison, le ferry devrait se frayer un chemin à travers la glace et on devrait avoir du mal à venir dans les docks. C'est ce qui s'est encore passé l'année dernière. Le réchauffement du climat, cela signifie moins d'eau qui se déverse dans les Grands Lacs. Et contrairement aux océans qui verront leur niveau augmenter, celui des Grands Lacs va baisser. Cela va avoir des répercussions énormes. Par exemple, via le fleuve Saint-Laurent, l'eau salée va pénétrer dans le pays, jusqu'à Montréal. »

A regarder ces lacs, on a l'impression d'être devant une étendue inépuisable d'eau propre. Mais l'image est trompeuse. Et les premiers habitants des Grands Lacs le savaient bien. Eux qui ont toujours veillé à ne pas prélever plus de ressources naturelles que la nature ne pouvait en offrir.

Chief Dean Jacobs : « Dans ma courte vie en tant que défenseur de l'environnement pour ma tribu, j'ai appris que cela ne suffit pas de changer les choses au niveau des gouvernements. Non, il faut un changement de mentalité au niveau de la société, une autre façon de gérer l'eau. Nous devons à nouveau bien traiter notre mère la Terre, et nous ôter de la tête qu'il s'agit d'une ressource inépuisable. Ses richesses sont limitées. Aujourd'hui, nous devons nous conduire de façon très responsable, afin que les générations futures puissent à leur tour profiter des richesses de la terre. »

Dans la tribu du chef Dean Jacobs, on a toujours pris toutes les décisions en pensant aux générations suivantes. Protéger la terre, l'air et l'eau étaient un honneur …. Et un devoir.





19/10/2008

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