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La compétition sportive : une "arme" de la Guerre froide

Les guerres olympiques de l'URSS

par Gurvan Le Guellec - Revue Regard sur l'Est
article publié le 01 janvier 2002


Suspect aux yeux des bolchéviques, le sport de compétition est vite devenu un instrument de propagande essentiel des régimes communistes. Histoire d'un champ de bataille, du stade d'Helsinki au ring de Rocky IV.



Rocky IV (Etats-Unis, 1985)

Parce qu'il aime Adrienne, parce qu'il aime l'Amérique, Rocky Balboa se surpasse. Le boxer au grand cœur terrasse la machine de guerre soviétique. Le short étoilé de Sylvester Stallone, filmé au ralenti, se répand en arabesques tricolores. Les deux mètres de Dolph Lundgren, brute slave aux pommettes saillantes sont étendus sur le tapis. Le petit ténébreux éructe de joie.


Rocky IV (Bande annonce)

Rocky IV est l'un des derniers films de la Guerre froide. Succès désarmant mais néanmoins explicable En 1984, Américains et Soviétiques s'affrontent depuis 40 ans. Ils se font la guerre jusqu'au dernier moudjahid, jusqu'au dernier sandiniste, sans jamais se heurter directement. Drôle de guerre qui nécessite un exutoire. Le champ de bataille est interdit. Les terrains de sport, en revanche, font parfaitement l'affaire.

Le sport permet une "libération contrôlée des émotions" notait Norbert Elias. C'est une pratique moderne par excellence prétendant à l'universel. Ses règles écrites et uniformes permettent une limitation du degré de violence. [...]

Le sport s'épanouit dans la Guerre froide. Il s'en nourrit ; il la sert fidèlement. Les deux superpuissances nucléaires se regardent en chien de faïence. Elles choisissent les pistes, bassins et tatamis olympiques pour s'affronter. Le CIO ne voudra jamais l'avouer, persistant à présenter sa grande messe comme un manifestation apolitique et pacifiste. La rencontre entre les peuples doit gommer la confrontation entre les blocs. Le cérémoniel empesé ne trompe personne mais il permet de réduire considérablement le niveau de tensions. Noyés dans l'unanimisme olympique, les deux ennemis font "comme si" l'important était bien de participer. Un jeu de dupe qui finit par voler en éclat, lorsque la confrontation Est-Ouest n'est plus "intermédiée". L'expérience des compétitions d'athlétisme USA/URSS, organisées tous les deux ans à partir de 1958, au nom du rapprochement entre les peuples, ne résistera pas à la glaciation brejnévienne.

Le sportif, homo sovieticus par excellence

Propulsés sur la scène olympique, les sportifs soviétiques sont devenus les premiers ambassadeurs du socialisme. Joli retournement des choses. Car cette posture offensive n'a pas toujours été celle de l'Union. Avant-guerre, les préoccupations sont ailleurs. L'URSS en construction, isolée et menacée, s'est retirée de la scène sportive internationale. L'olympisme, considéré comme une pratique bourgeoise, n'a pas les faveurs de la direction communiste. [...]

Enfermée dans son complexe d'encerclement, l'Union soviétique développe une conception alternative du sport axée sur la "culture physique". [...] Le sport doit dresser les masses. Combattre l'alcoolisme, le rachitisme, l'illettrisme, amener le moujik à vivre de manière hygiénique et à respecter les règles du collectif. Le sport est essentiellement un outil de politique intérieure. Il s'agit d'accélérer l'apparition d'un homo sovieticus productif, discipliné et enthousiaste. [...]


L'apogée olympique

En 1952, pour les Jeux d'Helsinki, l'URSS tourne casaque, et rejoint le mouvement olympique. Le revirement aurait pu intervenir plus tôt, lors de la précédente édition des JO, à Londres, en 1948. Mais Staline préfère attendre. La nouvelle superpuissance doit tenir son rang. Pari tenu, puisque l'URSS passe à deux doigts - et cinq médailles - de la première place dès sa première participation. À partir de 1956, l'URSS affirme sa suprématie. Elle "remporte" tous les jeux auxquels elle participe à l'exception des JO de Mexico en 1968.

L'URSS entre dans l'olympisme par la grande porte. Au plus grand contentement de la direction soviétique.
Dans un contexte de Guerre froide, le mélodrame olympique - pourvu qu'il se termine par une happy end - constitue un excellent produit de propagande. Les JO permettent de visualiser l'ennemi capitaliste, cet adversaire à la fois insaisissable et omniprésent, dont l'existence justifie tant de "renoncements". Par ailleurs, l'identification aux héros du socialisme, le "Nous avons gagné" fait vivre l'espoir du Grand soir et des Lendemains qui chantent.
Les sportifs après guerre deviennent ainsi des acteurs centraux de la mythologie socialiste. À l'instar des cosmonautes, ils repoussent les frontières, toujours plus loin, toujours plus haut, toujours plus fort. [...]


Les disciplines olympiques majeures (athlétisme, gymnastique) sont privilégiées. L'URSS crée des usines à champions et invente le sport de haut niveau. [...] Des systèmes de détection sont mis en places dès l'enfance. Les programmes d'éducation physique généralisés dans les écoles permettent de détecter les futurs talents, qui dès le plus jeune âge sont orientés vers des sections sport-études.

Le sport devient ainsi une affaire d'élites, placé au cœur même du système totalitaire. Les meilleurs clubs sont d'ailleurs patronnés par les services de sécurité. Dynamo pour le Renseignement intérieur et Etoile Rouge pour les forces armées. Les athlètes internationaux - officiellement amateurs - bénéficient de sinécures dans l'Armée ou le KGB. Avec salaires de nomenklaturiste et prime payée pour partie en dollars. Pas moins de 12 000 roubles (environ 120 000 francs actuels) pour une médaille d'or aux jeux olympiques de Séoul en 1988. Les "progrès" de la sciences sont également mis au service des sportifs de haut niveau.


Symphonie de boycotts

Le modèle "scientifique" de l'URSS est également appliqué aux pays du bloc. Uniformément. Même tutelle du complexe militaro-industriel, même revue (systématiquement dénommée "Théorie et pratique de la culture physique"), mêmes "centres de recherche" sur le sport, même programme sportif dans les écoles et sur les lieux de travail. Les Soviétiques iront même jusqu'à imposer les appellations Dynamo et Spartak à leurs alliés.

Certains comme la RDA feront d'ailleurs mieux que le maître. Avec 16 fois moins d'habitants que l'URSS ou les Etats-Unis, la république est-allemande parvient à se classer première aux jeux olympiques d'hiver en 1980 et 1984. Elle prend la deuxième place derrière l'Union soviétique lors des jeux olympiques d'été de 1976 à 1988 (JO de Los Angeles mis à part). Le volontarisme est-allemand, là encore, n'était pas désintéressé. En s'affirmant sur la scène olympique, la RDA est parvenue à contester le monopole de représentation du peuple allemand exercé par la RFA. Fort de ses succès, le comité national olympique est-allemand a finalement été reconnu en 1965, les maillots bleu marine frappés des fameuses initiales GDR faisant leur apparition sept ans plus tard aux JO de Munich. Pour le malheur des cousins ouest-allemands battus à plate couture par les déménageurs et déménageuses du camarade Honecker. Coïncidence ou non, la victoire de Munich est suivie en 1973 par l'admission de la RDA aux Nations Unies.

Avec l'ONU, les JO deviennent ainsi l'une des principales arènes diplomatiques du monde de la Guerre froide. Le boycott olympique se transforme en outil de politique extérieure. Un outil rempli de subtilités.

Il y a les grands boycotts de 1980 (absence américaine à Moscou) et 1984 (absence soviétique à Los Angeles), utilisés en pleine période de glaciation. Il y a les " boycotts pétition" opérés le plus souvent par et pour des petits pays à faible visibilité: boycotts européens pour protester contre l'invasion de la Hongrie en 1956, refus des Soviétiques d'affronter les Chiliens lors de la Coupe du monde de football de 1974...

Il y a enfin les refus de boycotts ou "boycotts provocation", allant à l'encontre de la logique des blocs. L'Albanie boycottant coûte que coûte toute "manifestation bourgeoise" jusqu'à la transition démocratique de 1991. Ceaucescu envoyant une délégation roumaine à Los Angeles. La Yougoslavie, exclue du Kominform, participant aux jeux olympiques de 1948.

Les JO n'ont pas seulement rythmé la Guerre froide. Ils ont également permis à la contestation de s'exprimer au grand jour, d'une manière encadrée. Lorsque la contestation devient rébellion, le cadre sportif, en revanche n'est plus adéquat. Règles et codes ne tiennent plus. Les matchs URSS/Hongrie en water-polo (1956) et URSS/Tchécoslovaquie en hockey sur glace (1968) se sont ainsi terminés en batailles rangées.

Etrange aventure que celle des athlètes venus du froid. Tout au long de son histoire, le sport soviétique aura été intimement associé à la trajectoire diplomatique de l'URSS. Il aura connu les soubresauts de 1956 et 1968, vécu les périodes conquérantes de l'après-guerre et sombré corps et bien avec le système en place. Car la glasnost a levé le voile sur la réalité sportive d'un pays, où les exploits olympiques se sont multipliés au détriment de la pratique populaire. Pour un Popov collectionnant les médailles de Barcelone à Sydney, 70% des petits Russes ne savent pas nager.

L'échiquier de la Guerre froide

La finale de championnat du monde qui opposa, en 1972 à Reykjavik, le Soviétique Boris Spassky, tenant du titre, à l'Américain Bobby Fischer a été la prolongation, sur l'échiquier, de la Guerre froide.


 


Jamais, dans l'Histoire, une partie d'échec n'avait mobilisé autant de journalistes. C'était, disait-on, le « match du siècle » entre deux hommes prêts à tout pour obtenir le titre très convoité de champion du monde d'échec. « Un champion du monde doit avoir un instinct d'assassin. » disait le soviétique Boris Spassky tandis que pour l'américain Bobby Fisher il s'agissait, disait-il de « casser l'ego » de son adversaire. Car les deux hommes savaient bien que le match qui commençait le 11 juillet 1972 n'était pas une compétition comme les autres. Au-delà du titre de champion du monde c'était tout le prestige des Etats-Unis et de l'U.R.S.S. qui était en jeu. Ce jour là la Guerre froide ne se déroulait ni à Cuba, ni au Vietnam, ni sur le mur de Berlin, mais en Islande, sur les 64 cases d'un échiquier, au Palais des Sports de Reykjavik.




L'Américain perdit la première partie. Il ne vint pas à la seconde. Finalement, il remporta le tournoi. Pour la première fois, le championnat du monde d'échecs n'était pas remporté par un Soviétique.



Le match Fischer-Spassky

Après sa victoire éclatante contre Spassky, Fischer, à 29 ans, disparut des échiquiers, écrivant le coup le plus marquant de sa propre légende.


13/12/2008

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